En ce 8 mars il était important de parler au féminin, même si nous le faisons régulièrement et ce depuis le début ! Et pour cela la bière est le produit parfait ! En effet, contrairement au préjugé stupide qui veut que la bière soit une boisson de mec, et plus spécialement de « beauf » vautré sur son canapé à regarder du foot en mangeant des chips, il s’agit d’un breuvage des plus féminins.

Au début de son histoire, la bière est l’affaire des femmes. En Mésopotamie, là où la bière a vu le jour sur notre belle planète, c’est une femme qui a la première oeuvré. Le début d’une grande et belle saga menée durant des siècles et ce jusqu’à il y a 200 ans. Majoritairement orchestrée par les femmes qui avaient la responsabilité de brasser cette boisson, dont la mythologie avait confié la garde à une déesse, Ninkasi.

Et la femme ne s’est pas contentée d’être à la fabrication, elle a même été un temps l’égérie de la bière « santé » avec cette fameuse campagne de publicité (pas complètement fausse d’ailleurs en raison du houblon galactogène…) en faveur des nourrices buveuses de bières, bien plus nourrissantes que les buveuses d’eau… Autres temps, autres moeurs…

Bière artisanale et anti-macho

Mais revenons à notre époque pour se féliciter du retour de ces dames dans l’univers brassicole, et ce bien au delà des jolies et très efficaces serveuses bavaroises de l’Oktoberfest.
En effet le développement de la brasserie artisanale en France a fait venir un nouveau public parmi les consommateurs et plus particulièrement des consommatrices. De « binouse pour beaufs » adipeux, on est passé à la très hype IPA et ses déclinaisons pour les branché(E)s !

On a également vu apparaitre un mouvement de lutte contre la bière « macho », celle qui dans son nom de baptême, dans sa communication, joue la carte du sexe si ce n’est du sexisme. L’occasion aussi de montrer qu’en amont, à la brasserie, on pouvait constater le « retour » des brasseuses et que la bière était bel et bien aussi une affaire de femmes.

Pourtant, loin des projecteurs, et ce bien avant l’explosion de la brasserie artisanale en France, il est un village d’irréductibles brasseuses, et pas des moindres, Obernai.

En effet, dans la gigantesque brasserie industrielle alsacienne de Kronenbourg, les femmes sont au mout et à l’houblonnage depuis fort longtemps. Là bas l’ensemble des Maîtres Brasseur a en général plus de 20 ans d’expérience, et les femmes, les deux tiers de l’équipe, y occupent des postes-clés avec de sacrés bagages techniques et une immense passion. Comme Céline, Sylvie et Laurence (de gauche à droite sur la photo au dessus) que l’on ne manque pas de croiser lors des visites de la brasserie.

Céline, Sylvie et Laurence, Maitres Brasseurs à Obernai

On citera par exemple Laurence Gutfreund, Directrice qualité (Senior Quality Manager), qui a en charge le contrôle de la qualité de chaque bière qui sort d’Obernai. Docteur en biologie, elle est entrée chez Kronenbourg à la fin de l’année 1998. Originaire de Franche Comté, elle n’a pas grandi « dans la bière ». « C’est en étudiant la levure, thème de ma thèse de doctorat, puis lors de mes premières années professionnelles pendant lesquelles j’ai fait de la recherche appliquée à la bière, que j’ai découvert cet univers. Et la passion est venue, car je me suis mise à goûter de la bière et à en découvrir toute la diversité. », confie-t-elle.

Céline Chauvin, biochimiste formée au brassage chez les malteurs et houblonniers, entrée chez Kronenbourg en mai 1999, dirige quant à elle la fabrication avec autant de professionnalisme que de bonne humeur et d’humour. La rencontre lors d’une visite du site est toujours un bon moment de partage !
Si la brasserie semble se piloter comme un avion de ligne ou une centrale thermique dernier cri, le goût d’une bière peut rassembler jusqu’à 600 composants organoleptiques ! Et si dans toutes les bonnes brasseries on peut aujourd’hui isoler et analyser en laboratoire la majorité des agents « physicochimiques », rien ne remplace une dégustation experte par un Maître Brasseur pour évaluer le résultat global et valider la qualité finale. 

« Avoir un bon palais est important pendant tout le processus d’élaboration. Je teste la bière chaque jour à différents stades du processus. Il faut savoir apprécier le malt en le croquant, goûter le brassin encore chaud, déguster la bière en pleine fermentation, créer de nouvelles recettes… Pour la mise au point de nouveaux brassins, il faut pouvoir reconnaître les différents caractères et saveurs d’une bière et les décrire. C’est aussi l’occasion d’échanger nos impressions entre brasseurs », rappelle Céline.

De son côté, Sylvie Lienhart, chez Kronenbourg depuis 1982, également biochimiste et formée à la bière à l’Institut français des boissons, de la brasserie et de la malterie (IFBM) et à l’Institute of Brewing and Distilling (IBD), est responsable développement Liquides France. Elle crée depuis près de vingt ans les nouvelles recettes de bière et parfois aussi de nouveaux verres « pour une expérience de dégustation enrichie ».
En bonne Alsacienne le malt et le houblon font partie de sa culture depuis toujours, mais c’est en travaillant chez Kronenbourg qu’elle a vraiment eu la fibre brassicole, « en découvrant sa richesse et sa complexité. J’ai appris à déguster la bière, à reconnaitre ses différents styles, le début d’une belle aventure. », savoure-t-elle aujourd’hui.
On la croise lors des visites de la brasserie dans le centre de recherche et développement du groupe Carlsberg installé à Obernai. Doté d’une mini brasserie où elle peut tester ses nouveaux produits. « Le développement d’une nouvelle recette démarre dans notre tête, à toute petite échelle. On tâtonne, on essaie, on recommence, on a des sources d’inspiration diverses et variées. Ce qui nous différencie d’un brasseur artisanal, ce sont les équipements et les moyens dont nous disposons pour valider nos bières et en assurer la qualité constante », explique-t-elle.

En effet, le gout, la qualité, le tout dans la constance, c’est le quotidien de ces femmes Maitre Brasseur. Car le plus difficile reste « d’obtenir un produit identique à partir du vivant. La dizaine de matières premières varie, la fermentation réserve des surprises. Les levures peuvent être stressées… Il m’arrive de consulter mes cours pour répondre à l’imprévu, » souligne Céline Chauvin.

« C’est facile de faire de la bière, la répéter, c’est une autre histoire. Le bon brasseur adapte sans cesse la recette et la cuisson en fonction des ingrédients dont il dispose (houblon et malt qui varie d’une année sur l’autre) pour arriver au même goût », vient renchérir Laurence Gutfreund qui dit reconnaître les 50 bières de Kronenbourg à l’aveugle. « Pour délivrer une qualité constante du produit, nous devons toujours répéter le processus de la même façon. Octobre, le mois où l’on reçoit le malt de la nouvelle récolte (orge de printemps récolté en juillet) est ainsi l’un des moments les plus importants dans la brasserie. Notre savoir-faire de Maître Brasseur, proche de celui d’un Chef cuisinier, consiste à adapter toutes nos recettes à cette nouvelle matière première, produit vivant qui évolue avec la climatologie. Ce réglage des nouveaux paramètres au maltage, à la fermentation et à la filtration, s’effectue en équipe et demande plusieurs semaines. »

« La fabrication d’une bière dans une petite cuve de 5 hectolitres ou dans une grande de 1000 hectolitres va nécessiter les mêmes paramètres de suivi et de contrôle », ajoute Céline Chauvin. « L’amertume, la couleur, le pH (acidité), la densité (sucre qui va se transformer en alcool), la brillance… sont contrôlées tout au long du process à la fois par des analyses physico-chimiques mais aussi par la dégustation. Ce qui est fait de manière beaucoup plus précise et régulière dans une brasserie de la dimension de Kronenbourg et avec une équipe de maîtres brasseurs formés pour délivrer un visa organoleptique qui valide la conformité et la régularité du produit. Ce qui est important puisque nous travaillons sur du vivant », ajoute-t-elle.

L’art du brassage est avant tout un travail d’échanges en équipe

Dans ce travail de création, une femme a-t-elle une approche particulière, apporte-t-elle un plus ou une différence ? « Une femme a une sensibilité et une perception différentes de celles d’un homme, et ses préférences vont peut-être davantage vers moins d’amertume et des arômes plus fruités, plus floraux » estime Céline Chauvin. « L’intérêt est que chaque personnalité, qu’elle soit masculine ou féminine, apporte sa nuance. L’art du brassage est avant tout un travail d’échanges en équipe et en étroite collaboration pour atteindre un même but : faire une bière qui soit la meilleure possible. »

Lors de notre visite à Obernai pour les 50 ans de la brasserie Kronenbourg nous avons eu le privilège de déguster le Brassin d’Or, la bière du cinquantenaire. Une recette éphémère en édition très limitée réalisée par Celine, Sylvie, mais aussi deux jeunes brasseuses en formation (photo ci-dessous). Une bière savoureuse, qui nous confirme que la bière est une histoire de femme, de tous temps et même là où certains l’attendraient le moins…

Les jeunes brasseuses Kronenbourg

Les jeunes brasseuses Kronenbourg qui ont participé à la recette du cinquantenaire